Bonjour,
Nous voilà en novembre 1983. En ce premier lundi du mois, j’embauche à la porte 164 du 15 rue Traversière. Là, Jacques Beffara, qui est matinal et qui n’aime pas la foule des transports en commun, est déjà là depuis 07h00. Je suis à peine arrivé, qu’il entre dans le vif du sujet, à savoir entamer mon initiation à l’héraldique et ma formation à dessiner les blasons qui ornent les faces des matériels moteurs.
Dès l’origine du Chemin de fer, les constructeurs britanniques donnent un nom de baptême à leurs locomotives telles les « catch me who can », « Locomotion », « Novelty » et autres « Rocket ». Il en est de même en France, notamment sur le chemin de fer de Paris à St-Germain, puis sur les autres compagnies, le chemin de fer de l’Etat étant celui qui perpétuera le plus longtemps la tradition. Toutefois, cette pratique sera abandonnée au début du XXème siècle. Mais, en 1972 alors que la BB 15006 sort de construction toute pimpante dans sa livrée gris/rouge/orange, la ville de Metz demande à la SNCF de parrainer cette locomotive aux armes de sa ville. J’ai entendu dire que ce fut sous l’impulsion de Roger Forray, alors Directeur de la région SNCF de Metz-Nancy et qui deviendra Directeur du Matériel. La SNCF, qui donne un avis favorable à la reprise de cette coutume, charge la Direction du Matériel d’assurer le suivi de l’étude et de la réalisation des blasons, les Directions régionales se chargeant quant à elles du protocole de la cérémonie du parrainage.
La BB 15006 « Metz ». Les plaques des constructeurs ont été déplacées pour laisser la place au blason au centre de la machine.
Jacques Beffara choisit de retenir « l’écu français ancien » comme dessin du contour extérieur de la pièce et d’apposer en toutes lettres le nom de la ville sur le timbre de l’écu. Ces pièces sont en fonte d’aluminium A-G3T qui allie la légèreté (8,5 kg tout de même), la résistance à la corrosion et la facilité de l’usinage ; en outre, il prend très bien le polissage.
Dessin du blason apposé sur le matériel moteur. C’est un modèle déposé au nom de la SNCF et de Jacques Beffara.
La procédure d’un parrainage est la suivante :
- 1) prise de contact entre la municipalité candidate et la Direction régionale SNCF dont elle dépend.
- 2) envoi du dossier à la Direction du Matériel (département MI3 « relations publiques-assistance technique ») qui élabore le dessin du blason à l’échelle 1.
- 3) envoi du dessin du blason aux services compétents pour acceptation par la municipalité.
- 4) réalisation du modèle « bois » : grâce au dessin à l’échelle 1, le modeleur réalise la pièce en contreplaqué de 12. Chaque pièce ou meuble composant les armoiries est réalisé en CP de 1,5 mm où chaque changement de couleur (émail ou métal en héraldique) correspond à un changement de niveau afin de guider le pinceau du peintre.
- 5) envoi du modèle bois chez le fondeur qui se charge également des usinages et polissage du contour et des caractères du nom de la ville.
- 6) livraison des pièces à MI3 pour réception des pièces et acceptation de la facture.
- 7) expédition des pièces à l’établissement titulaire de l’engin à parrainer pour mise en peinture et montage sur l’engin.
- 8) cérémonie du baptême.
Extrait d’un article paru dans la RGCF montrant les différentes étapes de la confection des blasons.
Roco vient de commercialiser la CC 72091 baptisée Tarare. Voici la photo du blason et sa définition héraldique : « D’or à la croix ancrée de gueules, cantonnée de quatre fusées de sable ; au quartier dextre d’azur chargé de la lettre « N » d’or sommée d’une étoile rayonnante du même ».
Le nombre minimal de blasons confectionnés est de 6 pièces : 2 pour l’engin (4 s’il s’agit d’un matériel de 3 caisses ou plus) 1 en réserve pour l’établissement titulaire de l’engin, 1 pour le Musée de Mulhouse, 1 pour la municipalité et 1 en témoin à MI3. Les municipalités ont la possibilité de commander des pièces supplémentaires pour leur usage interne, le record revenant à Nancy avec plus de 100 exemplaires commandés. Puis, viendront les TGV PSE : pour des raisons de sécurité, les plaques en alu sont remplacées par des autoadhésifs sur la rame, mais les principes restent les mêmes si ce n’est que seulement 4 plaques sont réalisées.
Trois mois plus tard, mon mentor prend sa retraite. Il m'aura beaucoup appris en si peu: les règles et le langage de l'héraldique (un monde à part !), la maniement de la gouache, l'écriture (car une lettre est dessinée) et tant d'autres choses...dont la gestion du patrimoine technique de notre Entreprise. Je me sens paré pour continuer son œuvre, j’espère que je ne faillirai pas.
A+
UTKR